Mon vécu personnel avec le mouton Landes de Bretagne
Introduction
L’histoire que j’ai contribuée à écrire sur cette population ovine, aujourd’hui en plein renouveau, débute pour moi en 1994 avec la constitution d’une ferme pédagogique à vocation conservatoire à la Maison de la nature du Bois Joubert Donges (44). J’ai eu à prospecter et acquérir les animaux des races pressenties outre la vache Nantaise déjà présente depuis 1985 (Moutons Landes de Bretagne et Belle-île, Chèvres des Fossés et Poitevine, porc Blanc de l’Ouest, poule Noire de Challans, …). A ce moment-là je dois avouer que je n’avais jamais entendu parler de cette population ovine.
De 1994 à 2018, il s’est passé beaucoup de choses au niveau de la dynamique, dynamique qui a été partagée jusqu’à présent entre un certains nombres d’acteurs différents, mais on s’aperçoit que la progression des effectifs, notamment depuis 1998, a été très forte et à peu près linéaire (+15 à 18% par an) ; et tous ceux qui y ont contribué peuvent être fiers de cette action emblématique de la conservation sur le terrain.
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Pour moi, l’action de conservation du mouton Landes de Bretagne commence en 1988 avec l’acquisition de reproducteurs en Brière par un technicien animateur (Pierre Le Floc’h) de la Réserve SEPNB de Goulien Cap Sizun pour gérer les falaises et favoriser le retour du Crave à bec rouge. On peut considérer que c’est le premier troupeau conservatoire du Landes de Bretagne, d’autres viendront rapidement ensuite (Réserve de Séné, Ecomusée du pays de Rennes, PNRA, Ferme des vallées en Charente,..).
Mais il faudra attendre 1995 et une première réunion à Donges (44), initiée par le Pr Bernard DENIS de l’Ecole vétérinaire de Nantes, réunissant les premiers intervenants autour de ce mouton ; de mémoire (puisque j’y étais) il y avait M.Lévèque (St lyphard – élevage fondateur), P.Martin (Missillac – élevage fondateur), P. Le Floc’h (réserve cap Sizun), Ferme des Vallées (ferme pédagogique en Charente), G.Bono (éleveur particulier 56), L.Reveleau, B.Denis et X.Malher (Ecole vétérinaire de Nantes). Mes excuses à ceux que j’oublierais…
L.Reveleau en démonstration pratique avec groupe d’éleveurs Landes de Bretagne à l’Ecomusée du pays de Rennes en 2008
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Louis Reveleau a exercé pendant l’essentiel de sa carrière en tant que professeur de zootechnie au CEZ de Rambouillet où on peut dire qu’il a connu et formé des « bataillons » de bergers et futurs éleveurs ovins de toute la France. Il y a suivi de près le cheptel unique de Mérinos de Rambouillet et participé à la création de l’INRA 401 (aujourd’hui dénommée Romane). Il a également accompli dans les années 90, pour le compte du Ministère, des actions de repérage, inventaire de troupeaux dans une dizaine de races à petits effectifs du Nord Ouest de la France – des races normandes au Berrichon de l’Indre en passant par le Bleu du Maine et la population qui nous concerne aujourd’hui.
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En 1995, Louis REVELEAU effectue une tournée d’élevages (Martin, Lévèque, Cap Sizun, Ville de Douarnenez, ferme EDE de Mauron,..) et réalise des pesées-mensurations. Ces mesures montent une certaine hétérogénéité du format des brebis. Il conclura à cette époque qu’il faudra « rester très libéral dans l’appréciation des caractères phénotypiques ».
Une deuxième réunion en 1996 réunira à peu près les mêmes personnes. Ces rendez-vous informels auront un réel mérite, celui de conforter les deux élevages fondateurs ainsi que les premiers sites conservatoires qui en sont issus. Ils les encourageront ainsi à poursuivre dans l’élevage de cette population des Landes de Bretagne qui commence à renaître.
Les deux élevages fondateurs :
- Maurice LEVEQUE : a des Landes de Bretagne depuis longtemps (se parents en avaient déjà). Il a été le seul, des quatre familles briéronnes à éleveur de manière permanente du Landes de Bretagne sur la Butte des pierres (île briéronne), à prendre conscience de la nécessité de retirer ses animaux afin d’éviter les croisements inévitables avec les béliers de races sélectionnées arrivés sur la butte au début des années 80. Décédé prématurément en 2005, son troupeau mené conjointement avec son cousin (D.Lebeau) n’a pas perduré au-delà de 2008. A noter que les briérons faisaient saillir leurs brebis par les agneaux de l’année, donc un nombre important de mâles, ce qui a probablement permis de débuter une sauvegarde avec une population riche d’une bonne diversité.
- Paul MARTIN de Missillac : a acquis en 1976 des animaux chez Armand BELLIOT en Brière, ce qui a permis de considérer cette souche comme fondatrice. Il a élevé des Landes de Bretagne jusqu’en 2017, merci Paul pour ta persévérance, pour tous les reproducteurs que tu as fournis en 30 ans et toutes les informations transmises aux nouveaux acquéreurs, quelles soient techniques ou historiques !
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En février 1998 a été créé le CRAPAL (Conservatoire des Races Animales en Pays de la Loire) sous l’impulsion de la Région qui souhaitait une interface avec les associations d’éleveurs, et de l’Institut de l’Elevage (IDELE aujourd’hui). Alors salarié SEPNB-Bretagne Vivante au Domaine du bois Joubert, j’en fus le premier animateur. Dès l’automne suivant, j’accompagne L.REVELEAU pour une tournée exhaustive des élevages Landes de Bretagne (la tournée en mouton Belle-île suivra en décembre 1998). C’est à ce moment-là que j’ai compris deux choses importantes grâce à L.REVELEAU :
- Pour une sauvegarde dynamique efficace, rien ne remplace les visites de terrain.
- On va peut-être pouvoir faire quelque chose de ce petit mouton non sélectionné.
Mais je vais revenir sur ces deux points :
1. Les visites de terrain permettent :
- non seulement de recenser et authentifier des animaux appartenant à une population recherchée, certes hétérogène dans ses formats retrouvés mais finalement assez homogène dans ses variétés de couleurs observées,
- Mais également de conforter l’éleveur visité à poursuivre dans cette voie, lui dire qu’il n’est pas seul et que du groupe d’éleveurs se formant sortira des besoins d’échanges de reproducteurs et des initiatives, pourquoi pas, de valorisation,
- Et puis parfois (souvent ?) de faire passer quelques conseils techniques favorables à un élevage simple avec des interventions limitées mais incontournables.
2. Que faire de ce petit mouton non sélectionné, de petit gabarit et non conformé ?
Dès 1998, deux éleveurs professionnels en agriculture biologique se lancent dans sa valorisation viande (P.ANDRE du 29 et F.CHEVALLIER du 44), en vente directe auprès des consommateurs. Ceux-ci constateront tout de suite une viande atypique, rouge et goûteuse avec un gras blanc et ferme.
Les débuts de la sauvegarde ont vu un attrait pour ce mouton jugé rustique à des fins de gestion de sites naturels ou historiques. C’est ainsi qu’on a pu le voir (puisque ces sites sont ouverts au public) sur les réserve de Goulien cap Sizun (29) et de Séné-Falguérec (56), ainsi que le site mégalithique de Carnac (56) où un petit cheptel a été installé en février 1996 pour « abroutir »[1] les ajoncs afin n’envahissent pas – tout en restant présents - les alignements de menhirs (expérimentation appuyée techniquement par L.REVELEAU et scientifiquement par jl.TOULLEC de la SEPNB).
A la fin des années 90, il n’est pas encore évoqué de création d’association d’éleveurs, le CRAPAL poursuit donc ses tournées d’élevage, les liens téléphoniques et la mise à jour d’un fichier partagé d’élevages qui s’étoffe de plus en plus (voir tableau plus bas).
L.REVELEAU, en tant qu’enseignant, propose également des journées de formations techniques (interventions minimum, manipulations simples). Plusieurs se dérouleront, soit à l’Ecomusée du pays de Rennes, soit au Domaine de Menez meur (29 – propriété du PNR Armorique). Pour l’anecdote, les éleveurs qui les ont suivies s’en rappellent aujourd’hui et en citent tout l’intérêt d’alors pour eux.
Les performances zootechniques de cette population évoluent rapidement avec l’amélioration du niveau alimentaire : ainsi, on a pu remarquer une augmentation du format avec des brebis qui dépassent largement les 50 kg et de la prolificité avec des lots à 1.5-1.6 (contre 1.2 dans les années 80).
Recherche tremblante :
Lorsqu’en fin des années 90 ( ?) sort la crise de « la vache folle », l’Etat cherche à montrer « patte blanche » en mettant en place un programme de recherche et de lutte contre la tremblante ovine (maladie ayant un peu les mêmes effets que pour les bovins avec l’ESB) les races dites sélectionnées s’y engagent et commencent à sélectionner des béliers, uniquement porteurs du gène de résistance à la tremblante (ARR/ARR). En 2002, le CRAPAL (comme le Conservatoire d’Aquitaine) est sommé de s’y engager comme pour les grandes races ovines. Nous insistons alors sur le fait que nous serions d’accord pour effectuer un sondage dans la population mais que nous nous refusions à effectuer une quelconque sélection génétique (mise de côté d’une partie des animaux) qui ne nous semblait pas du tout opportune à ce moment de la sauvegarde. 191 prélèvements vont avoir lieu (réalisés par L.Reveleau et R.Fresneau) sur plusieurs années : Les résultats (fréquence de 58% ARR « résistants » – 42% ARQ « peu sensibles) rassurent les intervenants autour du Landes de Bretagne puisqu’on n’y a pas alors décelé d’animaux VRQ « très sensibles». Nous en resterons donc là sur ce sujet.
Evolution des élevages et des effectifs en race Landes de Bretagne
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En 2004, les effectifs sont alors de 700 brebis dans 80 sites (élevage d’au moins 1 brebis avec un bélier de pure race), quelques éleveurs décident de créer une association concernant deux races, bretonnes à leurs yeux (Landes de Bretagne et Belle-île). Celle-ci prend le nom de « Moutons des pays de Bretagne – Deñved ar vro ». On se remémorera la passe d’armes interne entre les éleveurs bretonnant et les autres du pays gallo pour finalement opter sagement pour une appellation dans les deux langues. Cette association va plutôt être animée au début par des éleveurs amateurs ; pendant les dix premières années, les professionnels, peu nombreux alors, n’en prenant pas les commandes. Cette situation changera petit à petit ensuite jusqu’à ce que les professionnels soient largement représentés depuis 2014.
Parallèlement, le CRAPAL, avec des moyens de la Région Pays de la Loire et du Ministère) va poursuivre son rôle de suivi de l’ensemble des élevages (principe d’exhaustivité) car tous les éleveurs n’adhèrent pas (encore ?) à l’association (50% seulement). Il faut noter que cette dernière ne partage pas son listing d’éleveurs auprès de chacun des détenteurs, ce qui occasionnera des remarques de la part du CRAPAL (une information qui circule librement renforçant les liens et dynamisant la création de nouveaux élevages). Le CRAPAL va ainsi récupérer pas mal d’adresses nouvelles transférées à l’association.
Conservation ex-situ :
Si pour le mouton Belle-île, une opération de congélation de semences de béliers a été envisagée puis réalisée en 2001 (2 béliers) puis en 2015 (2 béliers), cela n’a pas été jugé alors comme une action fondamentale pour le Landes de Bretagne, conjointement par les éleveurs, le CRAPAL et l’Institut de l’Elevage (au vu de la dynamique de redressement de cette population avec présence d’un nombre important de béliers en service dans les élevages). On pourrait se poser la question aujourd’hui : personnellement je n’en pense pas grand-chose d’autant plus que ma préférence va toujours d’abord au soutien in-situ (des élevages), plutôt qu’ex-situ. Cependant, si des moyens supplémentaires étaient octroyés, on pourrait envisager la collecte de béliers :
- représentatifs de la situation actuelle, ceci avant la transformation de cette population au fil du temps notamment par les éleveurs professionnels,
- représentant des souches ou des phénotypes isolés (y en a-t-il ?).
A partir de 2007, l’Association se dynamise avec un nouveau bureau, parallèlement à l’accès au financement de la région Bretagne ; Ces nouveaux moyens, coordonnés par le PNR Armorique (J.SERGENT), vont permettre d’envisager de nouvelles actions telles que les formations nouveaux éleveurs, formation tri de la laine à partir de 2011, et surtout le lancement de la première expérimentation de valorisation laine par la commission laine de l’association (en 2011 puis 2012). Ce premier stock de laine à tricoter sera revendu à B.OSBORNE quand il créera « Les Toisons bretonnes ». Une marque collective « Laine de Bretagne – Gloan breizh – British wools » est déposée par l’association en 2011. La commission laine n’a pas perduré alors et on en est aujourd’hui à espérer que plusieurs membres s’en resaisissent et permettent à tous ceux qui sont intéressés de s’y joindre petit à petit afin que l’essentiel de la laine, aujourd’hui majoritairement jeté, puisse être valorisé.
Un groupe professionnels se créée au sein de l’association en 2013; il a pour but de réfléchir aux actions qui permettraient de s’améliorer techniquement, de mieux connaître la race et ses produits afin de les promouvoir correctement, d’accueillir les porteurs de projets en leur fournissant des données fiables avant leur installation… Ce groupe s’est réuni plusieurs fois en 4 ans mais demande à mes yeux à être dynamisé avec l’aide conjointe de nos deux fédérations régionales et leurs animateurs-trices.
Une marque est déposée en novembre 2017 « L’agneau Landes de Bretagne ». Il reste maintenant à dynamiser celle-ci d’une manière collective. Il semble au premier abord que les éleveurs souhaitent plus en faire un outil de communication global de promotion de la race qu’un outil de promotion individuel de la viande d’agneau à utiliser par chacun au-travers de sticks collés sur chaque colis.
Nous n’en sommes qu’au début du renouveau du Landes de bretagne, de plus en plus de jeunes s’y intéressent et créent des cheptels professionnels, dont 2 passent maintenant les 200 brebis ; mais la valorisation, bien que se faisant sans difficulté en vente directe auprès d’un public à la recherche de racines autant que de goût, reste confidentielle. Tout reste donc à inventer, si possibkle collectivement : relier systèmes d’élevage et d’engraissement aux produits, objectiver les qualités organoleptiques, savoir en parler, se faire connaître et reconnaître, installer une renommée, ....
En attendant, il y a rapidement un palier à franchir par chacun des éleveurs professionnels, c’est la fierté d’élever cette race bretonne : le penser c’est bien, le dire c’est mieux !
Voilà en quelques mots mon vécu autour de cette race qui m’est chère. L’histoire continue … et plus nous serons à l’écrire, plus elle en sera riche et partagée. Le Landes de Bretagne a de beaux jours devant lui, gageons que les éleveurs sauront le porter hauts et fiers.
Régis FRESNEAU – octobre 2018
PS : Cet article a vocation à s’étoffer et s’amender le cas échéant.
[1]Le fait que les moutons mangent chaque été la pousse annuelle encore molle et appétente permet à l’ajonc de garder un format petit et arrondi.